Instruction du général Schauenbourg

L'Instruction mise en pratique dans l'armée du Rhin et Moselle y ayant établi l'ensemble nécessaire pour la relation en ligne des bataillons, celle-ci renfermera particulièrement les principes des grandes manœuvres. On y insèrera néanmoins une instruction préliminaire pour les mouvements successifs par pelotons, par divisions et par bataillons, afin d'assurer l'uniformité des moyens d'exécution, et on y tracera la gradation des premières parties de l'ordonnance, que les circonstances ne permettent pas de pratiquer en entier.

On se conformera à tous les articles du règlement des manœuvres de l'infanterie de 1791, desquels il ne sera pas question dans le courant de cette instruction ; le but de ce règlement n'étant pas de réformer l'ordonnance de 1791, dont les principes sont très bons, mais d'y faire quelques additions, que la pratique a démontré nécessaires dans quelques parties.

Ces changements étant soumis, pendant leur exécution, à l'examen des généraux, pourront conduire à une révision encore plus étendue de l'ordonnance, et former une instruction complète qui ne devra plus être changée qu'après une révision nouvelle, fondée comme celle-ci sur l'expérience.

On exigera, ainsi qu'il a été dit dans la première instruction, que chaque officier instruise sa troupe, en raison de son grade ; on habituera même les officiers aux fonctions du grade supérieur au leur, afin de ne pas trouver de difficultés dans les remplacements.

On exigera que chaque officier se conforme rigoureusement aux moyens qui seront prescrits pour l'exécution de chaque mouvement ; mais on laissera toujours au commandant d'un corps le choix de la manœuvre que son génie, le terrain et les circonstances lui feront préférer, pourvu que, dans l'exécution de la manœuvre, il ne change rien aux principes du mécanisme établi.

Cette méthode nous empêchera de retomber dans l'enfance de notre tactique, dont les principes variaient au gré des chefs des corps et de chaque inspecteur. Ces changements, souvent adoptés sans expérience, fatiguaient les troupes par une foulle de petits détails et d'instructions subalternes, qui, au lieu de conduire les troupes à l'ensemble nécessaire pour les grandes manœuvres, ne mettaient pas deux régiments à même de manœuvrer en ligne. Même souvent deux bataillons ne savaient pas se prolonger exactement, quoique les principes de l'ordonnance, quant à l'école du soldat, du peloton et du bataillon, fussent bien supérieurs à ceux connus.

Nous devons cet hommage à nos anciens chefs, dans la classe des lieutenants-colonels et des majors, ainsi qu'à quelques officiers particuliers qui se vouaient à leur métier ; les derniers règlements d'exercice ont été formés des matériaux fournis par plusieurs de ces officiers ; et l'école des évolutions de ligne répondrait sans doute au reste de l'ordonnance, si l'on avait recueilli leurs observations sur cette partie, comme on l'a fait sur les autres, et si le peu de rassemblements de troupes faits pendant la paix, n'avait pas rendu les premiers chefs étrangers à cette partie de l'art militaire.

PREMIÈRE PARTIE.

ÉCOLE DU BATAILLON.

ORDRE de bataille d'une demi-brigade d'infanterie.

Quelle que soit la place d'une demi-brigade dans une division, le premier bataillon sera placé à la droite, le deuxième à la gauche du premier, et le troisième à la gauche du deuxième. L'intervalle entre les bataillons sera de huit toises.

Le premier bataillon de chaque demi-brigade sera composé de la première compagnie de grenadiers et des compagnies des 1er, 13e, 4e, 16e, 7e, 19e, 10e, 22e capitaines de fusiliers.

Le second bataillon sera composé de la 2e compagnie de grenadiers, et des compagnies des 2e, 14e, 5e, 17e, 8e, 20e, 11e, 23e capitaines de fusiliers.

Le troisième bataillon sera composé des compagnies des 3e, 15e, 6e, 18e, 9e, 21e, 12e, 24e capitaines de fusiliers (1), et de la troisième compagnie de grenadiers.

Les compagnies de grenadiers seront dénommées 1re, 2e, 3e, d'après le rang d'ancienneté de leurs capitaines. Les deux premières seront placées à la droite des premier et deuxième bataillons, et la troisième à la gauche du troisième bataillon (2).

Chaque compagnie formera un peloton. Les pelotons de grenadiers conserveront leur dénomination ; ceux de fusiliers seront désignés dans chaque bataillon par les numéros depuis 1 jusqu'à 8, suivant l'ordre qu'ils occupent de la droite à la gauche.

Les premier et deuxième pelotons de chaque bataillon formeront la première division ; les troisième et quatrième pelotons, la deuxième division ; les cinquième et sixième pelotons la troisième division ; les septième et huitième pelotons la quatrième division.

Les première et deuxième divisions de chaque bataillon formeront le demi-bataillon de droite ; les troisième et quatrième divisions le demi-bataillon de gauche.

Chaque peloton sera partagé en deux sections égales, désignées sous les noms de première et deuxième section.

Chaque compagnie sera formée par rang de taille, de la droite à la gauche. Le tiers composé des hommes les plus grands formera le premier rang ; le tiers composé des hommes de la moindre taille formera le second rang, et l'autre tiers formera le troisième rang. La distance d'un rang à l'autre sera d'un pied, mesurée de la poitrine des hommes des deuxième et troisième rangs au dos de ceux qui les précèdent, ou à leurs havresacs, quand le soldat en est chargé.

Les pelotons de fusiliers de chaque bataillon seront toujours égalisés pour manœuvrer par bataillon ou par demi-brigade, en reversant des hommes des compagnies les plus fortes dans les plus faibles (3).


Le sergent porte-drapeau (
4) sera au choix du chef de bataillon. Il devra être bien exercé à se diriger sur les points de vue, et à se placer en relation avec les drapeaux voisins.

La garde du drapeau de chaque bataillon sera composée du premier sergent de chaque compagnie de fusiliers. Il est essentiel que ces sous-officiers soient exercés à la cadence et à la régularité du pas : quand le chef de bataillon ne les jugera pas assez instruits, il les fera remplacer par les deuxièmes sergents (5).

La garde du drapeau sera formée à la gauche du quatrième peloton, le porte-drapeau entre deux sergents au premier rang ; les six autres sergents aux deuxième et troisième rangs.


Les tambours de chaque bataillon, un caporal-tambour à leur tête, et rangés sur deux rangs, seront placés à trente pas en arrière des serre-files, vis-à-vis du cinquième peloton (
6). Le tambour-major se tiendra à la tête des tambours du deuxième bataillon. Les musiciens seront en arrière des tambours du premier bataillon.


Le capitaine se placera à la droite de son peloton au premier rang.
Le lieutenant derrière le centre de la deuxième section : il la commandera dans les évolutions par sections.
Le sous-lieutenant derrière le centre de la première section, dont il couvrira le flanc gauche dans les évolutions par section.
Le sergent-major derrière la droite de la deuxième section, dont il couvrira le flanc droit dans les évolutions par sections.
Le premier sergent au drapeau de son bataillon.
Le deuxième sergent au troisième rang derrière le capitaine. Ce sergent, désigné dans les manœuvres sous le nom de sous-officier de remplacement, sera guide de droite de son peloton et de sa section.
Le troisième sergent derrière la gauche de la deuxième section : il sera guide de son peloton et de sa section.
Le quatrième sergent derrière la gauche de la première section.
Le caporal-fourrier derrière la droite de la première section.


Le capitaine, le lieutenant, le sous-lieutenant et le sergent-major, comme dans les compagnies de fusiliers.
Le premier sergent sous-officier de remplacement.
Le second guide de gauche du peloton.
Le troisième derrière la gauche de la première section.
Le quatrième derrière la droite de la première section.
Le caporal-fourrier entre le lieutenant et le sergent-major.


Le rang des serre-files sera placé à deux pas derrière le troisième rang.

Dans le peloton de gauche de chaque bataillon, le guide de gauche sera placé à la gauche du premier rang, et un caporal derrière lui, au troisième (7).

Le cadre étant essentiel à la correction des manœuvres et à la police intérieure des pelotons, quand un des officiers ou sous-officiers désignés pour le composer, sera absent ou de service, le commandant de chaque compagnie désignera d'avance, dans un grade inférieur, celui qui devra le remplacer, et qui aura l'autorité du grade qu'il représente, pendant la durée de son service. On exceptera de ces dispositions les fourriers et les quatrièmes sergens de toutes les compagnies et les troisièmes sergens des grenadiers ; ces sous-officiers n'ayant pas de fonctions particulières en bataille ni en colonne, les places qui viennent de leur être assignées ne seront pas occupées quand ils seront absens ou employés à représenter un grade supérieur.

Le capitaine d'une compagnie pourra être remplacé au commandement de sa compagnie par un officier d'une autre compagnie, quand le chef de bataillon le jugera nécessaire.


En bataille, les adjudans-majors se placeront à douze pas en arrière des serre-files, vis-à-vis des créneaux des quatrièmes pelotons : les adjudans sous-officiers, sur la même ligne, vis-à-vis des créneaux des sixièmes pelotons (
8). De ces places, ils seront à même de surveiller les serre-files, de répéter les commandemens des chefs de bataillon, quand il y aura lieu, et de se porter rapidement en avant du front pour prendre une nouvelle ligne.


Le commandant en chef n'aura pas de place fixe. Il se portera au point d'où il pourra diriger plus facilement l'exécution du mouvement général. Les chefs se placeront toujours de manière à être entendus également du centre et des deux ailes de leur troupe. Dans les temps calmes et quand le bruit des armes n'étoufe pas la voix, la place la plus avantageuse pour un chef est vis-à-vis du centre de la ligne et à la distance de la moitié de son front, quand on est en bataille, et en colonne à la distance de la moitié de sa profondeur et vis-à-vis son centre, en dehors du flanc de la ligne de direction.

D'après ce principe le général commandant se tiendra assez éloigné de la ligne ou du flanc de la colonne, pour laisser la distance suffisante aux généraux de brigade, aux chefs de brigade et aux chefs de bataillon.

La place de bataille des officiers supérieurs sera habituellement en arrière de la ligne de bataille ; lorsque le commandant en chef se portera en avant de la ligne, ils suivront son mouvement ; il en sera de même en colonne, lorsque le commandant en chef se portera sur le flanc opposé à la ligne de direction ; mais cela ne devra avoir lieu que lorsque des circonstances y forceront.


La célérité et la correction des mouvemens étant subordonnées à l'exactitude de chaque officier à se porter rapidement à sa place, on déterminera successivement, dans le courant de cette instruction, les places des officiers de tout grade, dans chaque mouvement.


Les chefs de brigade attacheront une grande importance à former rapidement leurs corps.

Au premier coup de rappel, les chefs de rendront au lieu d'assemblée, désigné d'avance pour leur troupe. Les officiers et sous-officiers se rendront dans la rue de la compagnie, si c'est dans un camp, et au lieu d'alarme de la compagnie, si c'est dans un camp, si c'est en garnison ou en cantonnement. Le commandant de chaque compagnie placera ses serre-files sur un rang, et leur assignera les places qu'ils doivent occuper en bataille, en désignant chacun du bout de l'épée. Il formera de suite sa compagnie sur le nombre de files demandé d'avance.

L'adjudant-major formera en même temps la garde du drapeau à la gauche du quatrième peloton. Il répartira les trois files qu'elle remplace et les files excédentes des pelotons les plus forts, pour compléter les plus faibles. Le chef de bataillon fera faire un roulement, pour annoncer aux compagnies qu'elles doivent être prêtes à se réunir.

Il fera donner ensuite un coup de baguette, auquel les compagnies viendront se former sur la ligne ou sur le peloton désigné d'avant par le chef de bataillon. Cette formation se fera d'après les principes que l'on donnera pour les mouvements successifs par pelotons.

Chaque bataillon étant formé, le chef de brigade les établira correctement sur la ligne qu'il doit avoir choisie d'avance.

Chaque compagnie devra être formée dans cinq minutes ; les compagnies d'un bataillon devront être réunies dans le même intervalle ; et le chef de brigade ne devra mettre que cinq minutes pour rectifier l'alignement de la demi-brigade, qui devra donc être formée dans un quart d'heure.

(à suivre…)




Notes (par Jakub Samek):


(1) Cette répartition assure que les plus anciens chefs de peloton de chaque bataillon commandent les pelotons de droite ou de la tête (on va manœuvrer habituellement en ordre directe), et que dans chaque division le chef du peloton de droite, qui sera le chef de division, est plus ancien que celui de gauche. Selon tous les règlements sur la formation de l'infanterie (1er janvier 1791, 2 frimaire an 2, pour n'en citer que deux exemples) les capitaines sont ainsi rangés au moment de la nouvelle formation. Des changements survenus au cours d'une campagne n'influencent pas le placement du peloton dans son bataillon ; ajoutons que dans chaque bataillon les compagnies (de fusiliers) seront désignées par numéros, depuis 1 jusqu'à 8, par le règlement du 2 frimaire an 2, avant elles sont désingées par les noms des capitaines qui les commandent.

(2) …en ordre de bataille d'une demi-brigade ; si les bataillons manœuvrent séparément, les grenadiers du troisième restent sans doute à sa droite (rappellons ici que le règlement de 1791, et celui du 15 mars 1792 sur la formation des bataillons d'infanterie destinés à entrer en campagne, réunit les deux compagnies de grenadiers du régiment de deux bataillons et en forme une division qu'il place à la droite du premier bataillon, c'est d'ailleurs pourquoi on voit, sur les planches de l'école de bataillon du règlement de 1791, un bataillon de dix pelotons ou cinq divisions).

(3) Cette égalisation du nombre de files de chaque peloton est importante pour la symétrie des formations et la régularité des manœuvres. Le règlement de 1791 n'en parle que généralement : « (…) on égalisera les pelotons dans chaque bataillon, en reversant à cet effet, s'il y a lieu, des hommes d'une compagnie dans l'autre. » (Formation d'un Régiment en ordre de Bataille), « On égalisera, autant que possible, les pelotons… » (Evolutions de ligne, Formation des régimens en bataille devant leur quartier), aucun détail n'est donné.

Comme on le verra plus bas, selon cette instruction de Schauenbourg c'est l'adjudant-major qui est chargé de cette opération (voir l'Instruction pour former rapidement une demi-brigade), selon le Manuel d'infanterie (2e édition, Paris, 1808, p. 506-507), c'est l'adjudant sous-officier :

« 243. Lorsque l'adjudant doit égaliser les pelotons, voici la manière dont il s'y prend : il sait à l'avance le nombre des files que chaque sergent-major peut et doit fournir, et calcule avec un crayon quel est le terme moyen qu'il doit avoir au résultat pour chaque compagnie. ; il fait sortir du rang, au moyen du pas en arrière, l'homme, la file ou les files de gauche des pelotons dans lesquels ce terme moyen se trouve outre-passé ; il ordonne à ces files de se porter vers et derrière le centre du bataillon pour s'y réunir.

« Il se rend lui-même au point où se sont assemblés ces hommes, et c'est de là qu'il distribue, en indiquant à chaque file le peloton qu'elle doit aller compléter.

« Un adjudant habile doit en cinq minutes avoir égalisé facilement les pelotons d'un bataillon de huit cent hommes, puisqu'en deux minutes ce sous-officier marchant seulement au pas accéléré (un pas d'adjudant doit être au moins de cent vingt à la minute), doit avoir parcouru le front qu'on peut évaluer approximativement à deux cent pas ; qu'il faut peu près une minute pour les files surabondantes soient réunies au centre ; et une minute pour qu'elles soient rendues au lieu de leur nouveau placement.

« Tout autre moyen serait plus long et moins sûr, il aurait d'ailleurs l'inconvénient de brouiller le rang de taille, de mélanger d'une manière désagréable les pompons, et de nécessiter même le dérangement et le replacement de tous les caporaux qui sont dans les rangs. »

(4) Selon le règlement de 1791 c'est un sergent-major au choix du colonel (chef de brigade). On ignore pourquoi le général veut confier le drapeau à un sergent.

(5) Le règlement de 1791 forme la garde du drapeau des huit caporaux-fourriers de fusiliers. La raison pour les faire remplacer par les premiers sergents est plus évidente que celle du remplacement du sergent-major porte-drapeau par un sergent : 1) les caporaux-fourriers sont des sous-officiers d'administration choisis pour d'autres capacités que d'avoir le pas très exacte, qualité nécessaire pour la garde du drapeau qui guide le centre du bataillon marchant en bataille ; 2) en route les caporaux-fourriers sont habituellement rassemblés et détachés pour arriver au gîte avant la colonne et y préparer tous les détails nécessaires pour le logement de leurs compagnies, leurs fonctions administratives les font souvent manquer à l'exercice pour des raisons de service, etc. C'est en principe pour ces deux raisons qu'il sont souvent remplacés, à la garde du drapeau, par les sergents.

(6) Selon le règlement de 1791 les tambours seront placés à quinze pas derrière le cinquième peloton de leur bataillon. La raison de Schauenbourg pour les placer à une double distance, c'est peut-être le fait que les compagnies de fusiliers sont, au moment de l'édition de son instruction en l'an VI, de 123 hommes chacune selon le règlement du 2 frimaire an 2, tandis qu'en 1791 elles ne sont qu'à 56 hommes sur le pied de paix et de 89 hommes sur le pied de guerre défini le 15 mars 1792. Les Tableaux synoptiques publiées après 1810 pour les bataillons de six compagnies de 140 hommes reprennent la distance réglementaire de quinze pas.

(7) Appelés dans ce rôle sergent d'encadrement et caporal d'encadrement par le règlement.

(8) Le règlement de 1791 place l'adjudant-major à huit pas en arrière du rang des serre-files de son bataillon, vis-à-vis le centre du demi-bataillon de droite, l'adjudant (sous-officier) est vis-à-vis le centre du demi-bataillon de gauche. Par les « créneaux » il faut comprendre les files des chefs de peloton, le général Schauenbourg place alors les adjudants plus vers le centre du bataillon (vers le chef de bataillon), et les éloigne de quatre pas du rang des serre-files (peut-être pour la raison déjà mentionnée des effectifs plus importants des pelotons). Les Tableaux synoptiques reprennent les dispositions réglementaires.