Apres la bataille d’Austerlitz

En 1805 la guerre entre la France et l’Autriche éclata. Ce livre n’est pas destiné a la description de toutes les causes politiques des alliés, de leurs campagnes ni a la narration des déroulements de cette grande bataille d’Austerlitz, cela soit réservé aux historiens d’Europe et de notre cher pays, ces pages ne rapportent que des histoires qui touchaient des alentours et Zatcany meme pour faire estimer la paix que Providence divine nous donne, ce bonheur inappréciable de possession de nos biens par description des jours terribles de la commune de Zatcany et Trebomyslice et des souffrances et des malheurs de leurs habitants durant l’invasion ennemie.



La Russie prit part a cette guerre aux côtés de l’Autriche contre la France. En septembre l’armée russe marchait sous commandement du général Koutouzof a travers la Moravie. Pour rendre ce déplacement plus rapide des soldats furent transportés sur des chariots de ferme du lieu en lieu. Ce déplacement durait sans interruption jusqu’a la fin du mois d’octobre. L’armée autrichienne avait quitté le pays auparavant et se réunit a la frontiere française.



La nouvelle que l’armée française sous le commandement de Napoléon prit la ville d’Ulm et entra aux pays impériaux arriva bientôt. L’ennemi pénétra jusqu’a Vienne et les Viennois la rendait pour épargner la ville au siege terrible. Alors l’ennemi dédaigneux marchait dans la ville impériale sans un seul coup de canon. Notre armée avec l’armée russe reculerent vers la Moravie et la ville de Brno. Les Français les poursuivaient. Le 17 novembre des Autrichiens avec la cassette impériale militaire passaient par Menin et y logeaient comme dans des autres communes.



Le 18 courant tout le corps autrichien de 30 000 hommes sous le commandement de Kienmayer et l’arriere-garde logeait a Menin, Zatcany et Telnice. Cette nuit présente le début de notre malheur. Comme des maisons et des greniers ne pouvaient pas servir pour tous les soldats, les hommes restaient aussi dans les rues et ils allumerent plus de 100 feux tout pres des maisons de la sorte que la nuit sombre changea en plein jour. Image impressionnante mais atroce a meme temps. Menin paraissait etre tout en flammes. Des vignes de Blucina et de Krepice, la colline de Prace, le paysage plat tout était comme en flammes, le ciel brulait d’un rouge vif. Cette nuit déja des habitants perdaient leur bois, paille, clôtures, portes avec tout cela des soldats nourrissaient le feu. Toute la nuit on n’entendait que des cris des habitants anxieux et des fracas des portes, clôtures etc.



Le 19 courant des Autrichiens passerent vers Jirikovice en laissant 20 hussards en garde qui vers 3 heures de l’apres-midi aperçurent sur la route de Nemcice une armée bleuâtre et un éclat des armes et alors les hussards quitterent Menin pour joindre l’armée a Jirikovice. L’angoisse, le terriblement indicible et la confusion générale s’installerent entre nous quand le dernier soldat autrichien disparut au-dela de Telnice et a meme temps des martelements des pieds de chevaux, ferraillements des armes et le chant atroce des soldats français surgissaient. Des habitants qui ne voyaient jamais un ennemi allerent et vendirent en tordant leurs mains de désespoir. Quelqu’un voulait se cacher, l’autre courir vers Otnice et Lovcicky pour sauver sa vie. Les plus audacieux restaient au village. Ils allerent a la rencontre au-devant de l’ennemi pour se rendre mais cela leur n’était utile que quelques instants. Des soldats en arrivant sur un champ seigneurial pres de la frontiere de Telnice s’arreterent d’un coup, laisserent leurs fusils en pyramides et se hâterent a Telnice, Menin, Zatcany et Trebomyslice. Ils entrerent en coup de vent dans des maisons pour y voler tout ce qu’il y avait a la porté de leurs mains : nourriture, vetements, meubles meme comme tables, chaises, lits – tout pour allumer le feu. Cette violence durait toute la nuit. Il n’y avait que l’ennemi qui arrivait et partirait avec sa prise.



Le 20 du mois courant des soldats français se rendaient vers la ville de Slavkov. Les trois jours qui suivaient on ne voyait que l’armée des ennemis a passer de Menin a Telnice.



Le 24 courant un régiment des Français revenait de Slavkov a Zatcany et Menin et il y restait au 29. On ne peut pas décrire ce que des habitants avaient a surmonter. Sous des menaces de mort et de mise a feu ils devaient faire manger la foule militaire sans avoir eux-memes de quoi se nourrir. Grâce a l’étang ou le poisson abondait ils pouvaient en approvisionner l’ennemi. Jour apres jour on abattait quelques vaches et il commença en manquer et des habitants se posaient la question ou en prendre le lendemain. La nuit du 29 au 30 courant d’un coup un tambour se mit a battre et dans 5 minutes tout le régiment disparut.



La paix néanmoins ne fut pas pour longtemps car le régiment revint au bout d’une heure pour reprendre ses places. Apres une demi-heure du bruit et du trouble s’installerent et d’apres de vives conversations des officiers nous sachions qu’il s’agissait de quelque chose de tres important. Des soldats pâles en mettant leurs affaires dans des havresacs gesticulaient aux habitants “le Russe arrive”. Alors ils quitterent en hâte Zatcany. Vers 3 heures du matin des escadrons français vinrent dit-on de direction de la ville de Kyjov d’ou des Russes les chassaient. Ils continuerent sans arret a Menin.



Le 30 novembre était le premier jour d’un tel repos qu’on puisse en avoir dans une situation pareille, triste et difficile. Quelques dragons autrichiens suivis des cosaques russes nous surprirent le soir. Nous voulumes oublier notre chagrin et nos angoisses en regardant l’uniforme blanche et en écoutant la langue maternelle de la bouche d’un officier. Cela signifiât pour nous la libération des ennemis. Des hommes quand meme repartirent apres avoir bien demandé la distance et le nombre des ennemis dont nous ne pumes pas les renseigner suffisamment. Apres 4 heures d’apres-midi, derriere du moulin de Zatcany les memes hommes se rencontrerent dans une mele sanglante contre des avant-gardes françaises ce qui faisait un bruit funeste tard dans la nuit. On entendait bien des ordres de nos soldats a Menin. Le 31 novembre et le 1er décembre furent tout calmes et on ne voyait ni soldat français ni le nôtre. Or ce calme n’était que celui avant la tempete.



Le 1er décembre nous étions apres une longue rupture dans la maison du Seigneur. Que nos prieres étaient alors pieuses ! Nous pensions que des troubles de guerre avaient fini pour nous mais le pire n’aurait qu’a venir.



Le 2 décembre a 5 heures du matin une accrochage des avant-gardes sur des champs au-dela de Telnice et Ujezd que nous regardions du clocher nous effraya. Des coups se montraient plus fréquents et a l’aube de la colline d’Ujezd, pres de la chapelle saint Antoine, un coup de canon éclata, puis le deuxieme, troisieme et apres une fusillade suivait de maniere qu’on ne put pas distinguer un coup de l’autre, seulement des coups de canons grondaient en courts intervalles. La terre tremblait et le clocher allait se pencher avec nous. Nous devenions pâles, nous nous regardions sans un seul mot, glacés d’effroi. Le jour commença finalement et on pouvait voir des rangs qui couraient l’un contre l’autre sur des champs entre Telnice et Ujezd. Ce spectacle atroce finit par etre couvert de fumée et de poussiere et on n’entendait plus que des grondements de canons, des tires de fusils et des cris des soldats.



Les Russes cinq fois avancerent jusqu’a Telnice, cinq fois ils furent refoulés vers Ujezd. A Telnice les Français se barricaderent avec des chariots, ils se bâtaient dans des maisons, des greniers et dans des caves. Vers 9 heures de la direction de Rajhrad plusieurs de régiments français arriverent et se rangerent sur des champs derriere le moulin de Telnice mais apres quelques coups de canons russes les forcerent de quitter leur poste. Avant midi des blessés marchaient sans fusils, sans chapeaux a Zatcany et a Trebomyslice pour se cacher des gardes passantes. Nous voyons que de maints Français se laissaient capturer par des cosaques russes. A Zatcany et a Menin, nous n’étions que des spectateurs jusqu’a 4 heures de l’apres-midi quand les Russes commencerent a reculer de la colline de Prace en laissant dans l’étang légerement gelé 200 canons, beaucoup de munitions et de bagages et se sauvaient vers Menin et Otnice. La route et nos vignes étaient dans une seconde couvertes des Russes en fuite. Nous eumes peur : « Sauvez-vous! » perçait de tous les côtés. Nous descendîmes du clocher, des femmes prirent leurs enfants, des hommes prirent des vieux et des vieilles et tout le monde se mit a courir. Derriere «poullany » l’infanterie et la cavalerie russes nous devancerent tous en pagaille et nous nous y melions et courrions avec eux. Des boulets de canons soufflaient de Stara hora au-dessus de nos tetes, nos cheveux se hérissaient d’horreur et la sueur froide mouillait nos fronts. Des habitants de Menin couraient a Opatovice, des autres a Blucina parmi eux aussi leur pretre, l’intendant et l’instituteur. Menin resta pour la premiere fois dans son histoire tout dépeuplé.



Le 4 décembre des ennemis quitterent Menin et Zatcany et des habitants chassés rentraient timidement. Nos premiers regards tomberent a nos maisons détruites, pleines de cadavres raides, des hommes maigres, des entrailles leurs sortaient et ces moribonds voulaient les faire rentrer et en râlant mourraient, autres voulaient une goutte d’eau pour apaiser leur soif mais on n’en avait pas. Des habitants en larmes se saluerent le soir et se racontaient des angoisses et le danger surmontés. Notre cher empereur passa la nuit apres la bataille d’Austerlitz ensemble avec le tsar russe et grand-duc Constantin a Herspice, un petit village pres de Slavkov, dans un bâtiment rural, ou ces hôtes majestueux ne purent manger que de la soupe au cumin et quelques pommes de terre. Ils étaient servis sur un seilleau a l’envers et son fond fut leur “table”.



Le 8 décembre nous visitions le champ de bataille désert. On ne peux pas décrire le désastre que nous vîmes. Milliers de morts parsemés et jonchés aux terribles traits dans leurs visages. Des bras, des jambes, des torses, des tetes. Un misérable tendait la main saignante vers nous au secours, l’autre dans la boue jusqu’aux hanches nous pria de l’assommer. Terrifiés et désespérés nous rentrâmes dans nos maisons ravagées.



Le 9 décembre des morts furent enterrés et des blessés transportés aux hôpitaux de Brno, Sokolnice et Rajhrad. Début de janvier 1806 l’armée française apres se concentrer a Brno et le 13 quitta la région de Moravie.



En 1809 apres la grande bataille d’Aspern et Wagram les Français envahirent la Moravie. Le 14 juillet ils entrerent aussi a Zatcany et Menin mais cette fois-ci il n’y avait autant de violence ils ne voulaient que de la nourriture, du fourrage etc. Bientôt la paix fut déclarée alors les Français partirent. Un souvenir de cette époque – c’est 5 boulets, retrouvés apres la bataille, qui sont emmurés dans la façade de l’ancien moulin.